L’infrastructure : un marché longtemps réservé aux institutionnels et des structures historiquement monopolistiques 

Le développement du marché du financement de projets d’infrastructures a été porté depuis une vingtaine d’années par l’importance des besoins et par la demande des investisseurs institutionnels en produits d’investissement de long terme attractifs. 

Côté besoin de financement, la transition écologique et énergétique, le secteur des transports et de la mobilité, l’aménagement et l’immobilier mais aussi la santé, en lien notamment avec le vieillissement démographique, nécessitent des investissements colossaux. Des besoins auxquels les financements publics ne peuvent répondre que partiellement. Ainsi, selon une étude l’OFCE, 2% du PIB seront nécessaires chaque année à la transition énergétique, alors les Etats ne seront en mesure d’y consacrer que 0,5% de leur richesse nationale. A l’échelle mondiale, l’OCDE chiffre à 4000 milliards de dollars d’ici à 2030 les pays en développement pour atteindre leurs objectifs de développement durable. 

Le cadre réglementaire s’est ainsi adapté, notamment avec les Partenariats public privé (PPP) via les produits Core Infra, permettant l’émergence de fonds de dette spécialisés sur les infrastructures. Ces fonds combinent également une thématique particulière comme les énergies renouvelables par exemple, et un objectif environnemental (stratégie à impact, article 9). Pour les investisseurs institutionnels, ils fournissent une solution stable de diversification de leur poche de dette privée, avec une rentabilité élevée, proche de l’equity, une bonne résilience et une maîtrise du risque (Core Infra pour les moins risqué, Core Plus pour davantage de rendement jusqu’aux produits les plus risqués Value Add) 

Cependant, les montants extrêmement significatifs nécessaires à ces projets ont longtemps réservé le financement d’infrastructures aux seuls acteurs institutionnels. Les acteurs majeurs de cette activité sont Ardian, Antin Infrastructure Partners, Infravia, Mirova, ICG ou encore AXA, CNP Assurances, Predica, La Caisse des Dépôts, EDF Invest… 

Or, ces produits peuvent aussi répondre aux objectifs des particuliers. Règlement de cash-flows stables et prévisibles à long terme (avec des contrats de longue durée indexés à l’inflation sécurisant les prix), protection contre l’inflation et diversification constituent des avantages de nature à séduire aussi les épargnants.

Projets d’infrastructures : une ouverture vers le marché des particuliers 

Avec l’ouverture opérée par la réglementation vers les investissements non cotés, notamment dans l’offre d’assurance-vie et d’épargne retraite, le financement d’infrastructure a fait une entrée sur la pointe des pieds chez les particuliers.  

Cet essor est principalement passé par trois canaux : les FCPR dédiés côté assurance-vie, les plateformes d’investissement thématiques et les véhicules de Crowdfunding. 

Les FCPR dédiés 

Le mouvement de démocratisation du private equity a en effet permis l’essor des véhicules FCPR au sein des offres d’assurance-vie et de PER. Les fonds d’infrastructure bénéficient de ce mouvement et le format Evergreen leur permet désormais une intégration dans des offres dédiées au grand public. 

Preuve de cette percée, le succès des fonds Axa Avenir Infrastructure, Ardian Multi Stratégies ou encore des alliances assureurs/asset managers comme Allianz Transition Energétique (co-construit avec Eiffel Investment group) ou CNP Relance et Climat (co-construit avec Tikehau), regroupant plusieurs millions d’encours pour les 2 derniers (créés seulement en 2023) et jusqu’à 1 milliard d’euros d’encours pour le fonds Axa, créé il y a 3 ans. Cependant, même si leur collecte est en plein essor, le total des encours FCPR infrastructure, avec Axa, dépasse tout juste le milliard d’euros, un montant encore marginal comparé aux 1.900 milliards d’euros d’encours pour l’assurance-vie. Leur objectif, à travers la distribution en UC, est clairement de permettre aux particuliers d’investir sur le marché des infrastructures (majoritairement vertes) sur des secteurs générant des revenus issus de l’exploitation d’actifs (péages, aéroports, transport, énergie et télécommunications). 

Les plateformes 

Deuxième canal d’investissement en plein essor : les plateformes. Ainsi, Goodvest, Ramify et consorts permettent aux fonds d’infrastructure d’accéder aux financements privés et ainsi de compenser un financement public limité. Ces plateformes se posent comme de réels néo-acteurs apportant digitalisation et démocratisation auprès d’un public non averti. Ils simplifient l’accès à des produits aujourd’hui complexes et se placent comme de nouveaux intermédiaires ajoutant une plus-value de sélection des projets et entreprises.  

Outre l’apport de nouvelles solutions connectées, plus ancrées dans le quotidien de populations jeunes, leurs partenariats avec des acteurs majeurs leur permettent de mettre à disposition une offre innovante. Symétriquement, ils permettent aussi aux acteurs historiques d’accéder au public retail avec une gestion facilitée des volumes. Ainsi, un acteur tel que Private Corner ouvre l’accès, avec un ticket minimum à 100.000 euros, à des fonds qualitatifs d’Rgreen ou d’Antin Infrastructure Partners tout en apportant un niveau supérieur de reporting et de documentation.  

Le crowdfunding 

Un dernier type d’acteurs, expert dans la culture retail, soutient également les modes de financement alternatifs : le crowdfunding. Il consiste à financer un projet, bien souvent immobilier, via la mobilisation de financements privés sur internet. Certaines plateformes spécialisées, intermédiaires entre les porteurs de projets immobiliers et les particuliers, proposent ainsi aux particuliers de placer leur épargne, pendant un temps prédéfini, via un ticket minimum accessible. L’objectif ? Contribuer au bouclage financier d’un projet immobilier (construction d’habitations ou de bureaux écologiquement responsables par exemple) qui permettra la distribution de revenus. 

L’acteur international Infrashares s’inscrit dans cette logique et s’est imposé comme un acteur clé à travers son modèle innovant de crowdfunding. La société affiche une croissance significative de la collecte de fonds, dépassant les 200 milliards de dollars depuis 2006. Elle permet un accès facile et pédagogique, via une plateforme totalement digitale, à divers projets significatifs qui ne se limitent pas à l’immobilier (écoles, ponts…).  

Cependant, cette ouverture vers de nouveaux modes de distribution n’est pas sans défis. 

Projets d’infrastructure : la transition écologique comme moteur 

La tendance de fond qui structure l’évolution des gammes de produits est clairement identifiée : le financement durable. Le financement d’infrastructures vertes est en effet convoité par les grandes institutions financières pour plusieurs raisons. 

D’abord il s’agit d’un outil décisif pour opérer leur transition bas carbone et atteindre l’objectif de neutralité carbone du portefeuille et de l’institution. A titre d’exemple, CNP Assurances et Generali visent une totale neutralité carbone à horizon 2050 tandis qu’Axa propose de réduire l’empreinte carbone de l’actifs du fonds général de 20% d’ici 2025. 

L’offre limitée de produits bas carbone face à une demande toujours plus importante des banques, compagnies d’assurances et sociétés de gestion les contraint à accepter des produits avec une performance financière plus faible. A ce titre, les infrastructures vertes, lorsqu’elles s’inscrivent dans un réel projet à long terme en support à une activité économique durable et viable, deviennent des actifs très convoités.  

LBPAM ou Mirova disposent d’une gamme de fonds finançant des projets d’infrastructures énergétiques et durables (activités alignées avec la Taxonomie européenne) en Afrique (biomasse, photovoltaïque, stockage…). Si ces fonds demeurent réservés aux institutionnels, plusieurs d’entre eux deviennent accessibles auprès de particuliers sur un segment exclusivement High Net Worth grâce à l’intervention d’intermédiaires comme Private Corner qui les intègre dans ses master funds. 

De plus, les institutionnels souhaitent étayer leur offre commerciale de produits bas carbone pour attirer une clientèle toujours plus sensible aux enjeux de la transition énergétique. Plusieurs néo-acteurs ont ainsi décidé de se positionner et se spécialiser exclusivement sur ce type de produits, à l’instar de Ramify et Goodvest. 

Enfin, la participation de plus en plus importante au financement de la transition écologique permet aux différents institutionnels de mieux se conformer à la réglementation en vigueur. En effet, le déploiement en cours de CRSD invite chacun à communiquer publiquement sur l’impact de son organisation sur l’environnement (et réciproquement) tandis que la taxonomie les amène à estimer un taux d’alignement de leur chiffre d’affaires et de leurs investissements en euros.

En conclusion, pour répondre aux demandes du régulateur mais aussi de la société civile, les projets d’investissements relatifs aux infrastructures vertes apparaissent comme une aubaine pour les acteurs institutionnels : potentiel de décarbonation, risque mesuré selon les actifs, taille d’investissement important facilitant le reporting. 

Or, si la dimension environnementale constitue un critère de choix dans la constitution du portefeuille des particuliers, il reste loin derrière les enjeux de sécurité des placements, de performance financière et de liquidité du produit comme le montre l’étude de l’AMF : Les Français et les placements responsables. En période d’inflation, ces priorités ont peu de chances d’être remises en cause.

 Les investissements et projets permettant la transition énergétique, en particulier dans le renouvelable, s’annoncent colossaux dans les vingt prochaines années. Seulement les investisseurs retail n’y prendront part qu’au prix d’une évolution des mentalités quant au traditionnel couple risque/rendement pour y intégrer l’impact positif de leurs investissements, ou plus prosaïquement qu’avec une hausse de la rentabilité financière.