A la demande de l’Union européenne, l’EIOPA, autorité européenne de supervision du secteur de l’Assurance, a livré le 30 septembre son opinion sur la manière dont les enjeux de la croissance durable pourraient être pris en compte par le corpus prudentiel Solvabilité 2. Cette demande de l’UE obéit à une double motivation : favoriser les investissements durables et s’assurer que les acteurs du secteur ne sont pas exposés à des risques liés au développement durable – et notamment au changement climatique – qui constitueraient une menace pour leur solvabilité.

Retour sur les pistes de réflexion ouvertes par l’EIOPA et qui pourraient être examinées dans le cadre de la procédure en cours de révision de Solvabilité 2.

Intégrer le résultat d’analyses de scénarios et de tests de résistance dans la valorisation du bilan prudentiel

Concernant la valorisation du bilan, l’EIOPA a réaffirmé la pertinence de l’approche de la norme prudentielle…tout en mettant en lumière certaines limites.

  • Si la valorisation des actifs sur la base de leur valeur de marché permet d’intégrer toute l’information disponible, l’EIOPA pointe le fait que les marchés financiers n’ont pas pris toute la mesure de l’importante des risques liés au changement climatiques, qui dépassent l’augmentation de fréquence et d’intensité des catastrophes naturelles. Au-delà des risques physiques (sur l’immobilier par exemple), le changement climatique suscite des risques de transition (qui résultent d’une modification du comportement des acteurs économiques et politiques) et des risques de responsabilité, qui sont moins bien pris en compte par les marchés.
  • De la même manière, l’EIOPA a réaffirmé sa confiance dans la méthode Solvabilité II de valorisation des engagements d’assurance…avec les mêmes réserves sur certains risques potentiellement pris en compte de manière insuffisante, faute d’information. En assurance de biens, l’activité est généralement souscrite pour une durée d’un an, ce qui rend ces engagements d’assurance relativement insensibles aux problématiques de changement climatique.
  • Qu’il s’agisse de la valorisation de l’actif ou du passif du bilan, l’EIOPA propose d’enrichir l’information prise en compte par des analyses de scénarios, des tests de résistance ou encore des travaux scientifiques comme ceux du GIEC.

Notre opinion : l’EIOPA ainsi que le marché soulignent l’amplitude des scénarios envisageables, l’utilisation de scénarios standardisés communs à tous les acteurs n’étant pas la piste privilégiée : une augmentation de 2°C ou de plus de 5°C n’ont pas le même impact.

Elargir le champ du régulateur aux politiques de développement durable des organismes d’assurance

L’EIOPA affirme qu’il est du ressort du régulateur d’inciter les organismes d’assurance à adopter des politiques visant à limiter l’impact du changement climatique.

  • Dans le domaine des investissements, ces politiques devraient pouvoir s’appuyer sur l’intégration des critères de développement durable ou ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) dans le reporting financier et dans les notations d’actifs, ces deux domaines restant perfectibles. Les travaux en cours sur une classification des investissements durables devraient également contribuer à ces politiques.
  • En matière de souscription, l’EIOPA considère que les politiques mises en œuvre devraient contribuer à réduire les risques liés au changement climatique ainsi que ses effets. Une alerte est également émise sur un scénario de hausse des prix des couvertures des risques climatiques, qui rendraient ces risques inassurables. Sur ce sujet comme sur celui de la connaissance et de l’évaluation de ces risques, une collaboration public-privée est à envisager.

Notre opinion : Cette collaboration existe déjà dans certains pays de l’UE dans le domaine de la réassurance des risques climatiques : si elle permet de limiter la hausse des primes et de couvrir davantage l’ensemble de la population, elle peut également retarder la prise de conscience du risque et donc l’adaptation des comportements

Dans le calcul de l’exigence en capital, un calibrage des risques globalement adapté aux risques climatiques

Solvabilité II détermine les exigences en matière de solidité financière sur la base d’une quantification des risques auxquels les organismes sont exposés, pondérés en fonction de leur nature.

  • Parmi les risques de marchés pris en compte, les données actuellement disponibles ne permettent pas d’identifier un profil de risque différent pour les investissements « durables ».  Il est cependant signalé que cette conclusion pourrait être remise en cause lorsque des données plus détaillées deviendront disponibles.
  • Le calibrage du risque de catastrophe naturelle est évidemment à questionner très régulièrement, pour prendre en compte son évolution rapide et les résultats des nombreuses études en cours.

Notre opinion : le marché est assez partagé sur le rendement à attendre des actifs dit verts, certains considérant que ces actifs portent sur un risque long et sont donc plus rentables, tandis que d’autres associent les actifs verts à des possibilités d’investissement limitées et donc moins intéressantes.

La question de l’horizon relève d’un Pilier 2 enrichi

La question de l’horizon temporel d’évaluation est majeure dans la prise en compte des enjeux climatiques par les acteurs économiques. « We don’t need an army of actuaries to tell us that the catastrophic impacts of climate change will be felt beyond the traditional horizons of most actors – imposing a cost on future generations that the current generation has no direct incentive to fix», a résumé Mark Carney, Gouverneur de la Banque d’Angleterre (*).

  • A cet égard, l’horizon de douze mois pris en compte par Solvabilité II pour déterminer les exigences en matière de solidité financière (le « Pilier 1 » de Solvabilité II) peut sembler particulièrement insuffisant pour tenir compte des risques liés au changement climatique.
  • L’EIOPA considère que ces derniers ne doivent pas être suivis au travers du Piller 1, mais relèvent davantage des dispositions relatives à la gouvernance (« Pilier 2 »), et notamment du processus interne d’évaluation des risques et de la solvabilité (Own Risk and Solvency Assessment – ORSA). Enrichi d’analyses de scénarios et de tests de résistance, le Pilier 2 pourrait prendre en compte les risques issus du changement climatique de plus long terme. Et ces analyses sont tout particulièrement importantes pour répondre à certains risques liés au changement climatique qui peuvent se matérialiser dans un horizon de temps impossible à prévoir.

Notre opinion : la vision exprimée par l’EIOPA contribuera certainement à attirer l’attention du marché de l’assurance sur les effets du réchauffement climatique : l’EIOPA considère en effets que les assureurs se sentent encore insuffisamment concernés par ce risque. La révision de solvabilité 2, engagée par l’Union européenne et qui se concrétisera courant 2020, pourrait changer la donne.

(*) Bank of England, Breaking the Tragedy of the Horizon – climate change and financial stability, Speech given by Mark Carney